Un bonheur inquiet, à l'orée du danger

De livres qui sont parvenus dans mes mains par hasard à d'autres rencontrés dans un rayon de librairie, la poésie se confronte et résonne.

De Fritz Werf à Cyril Dion, je vous emmène à la rencontre d'une poésie qui cherche à déterrer en nous l'humanité sagement sauvage et contemplative pour (r)éveiller les consciences, à la rencontre de textes qui alertent, chantent la tristesse et réaniment l'espoir.

 


D'abord, c'est l'ouvrage Un bonheur inquiet, de Fritz Werf, qui m'a frappée par son caractère actuel. L'ouvrage, édité avec sa traduction française par La Maison de la Poésie du Nord-Pas-de-Calais et la Maison de la Poésie d'Amay, date de 1991. Il rassemble des extraits de recueils publiés en allemand des années 1960 aux années 1980. 

La préface de Pierre Garnier commence ainsi :

"Quand on lit les poèmes de Fritz Werf, on perçoit d'abord cette nouvelle mélancolie, pas de nostalgie vers le monde ancien à peine mentionné mais une espèce de constat angoissé de notre humanité : notre civilisation - gadget - loisirs - vidéo est mal vécue; l'hominière anonyme et massive est mal vécue ; avec les années 1950 disparaît à l'Ouest la civilisation campagnarde, celle où l'horizon était courbe, où les contraintes et les efforts étaient nombreux. La civilisation qui la remplace, pas encore vraiment spatiale, mais technologique, informatique, anonyme, [...] laxiste, [...] égoïste [...], close sur l'homme [...], cette civilisation du "bien-être", du laisser-aller, de la domestication par les mass médias laisse de moins en moins de place aux poètes et aux oiseaux; l'horizon n'est plus courbe mais est une constellation d'étoiles que l'homme ne perçoit que comme des points tristes."

Puis ces mots résument l'impression que nous laissera la lecture du recueil :

"La poésie qui célébrait critique maintenant, elle qui louait constate le délabrement de la terre, en proie à tous les amateurs de gadgets, aux ripailleurs, aux profiteurs, aux chasseurs, à la sexualité jouisseuse... à l'homme qui cependant n'est pas tout à fait l'homme puisqu'il reste en lui aussi parfois un amour de la nature et de la terre, des lieux purs."

Je vous livre quelques poèmes choisis :

  

 
Et cette réécriture très forte du "Lorelei" d'Heinrich Heine : ici, le chant des sirènes qui invite la puissance des sens à supplanter la raison prend une coloration cataclysmique. 
Désormais bien plus qu'un chavirement que le rêve a provoqué, la mort découle d'un cauchemar qui est bel et bien la réalité.

 

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Le recueil de Cyril Dion, A l'orée du danger est quant à lui paru en 2022 chez Actes Sud. 

Il peut aisément être mis en regard avec la poésie de Fritz Werf tant les deux poètes s'alarment des mêmes dérives et tentent de s'accrocher aux branches de l'espoir, en observateurs de la nature assoiffés de l'instant salvateur.

Les textes de Cyril Dion peuvent sembler constituer une réponse en différé à ceux de Fritz Werf, un cri crescendo qui tente de mettre au premier plan, désespérément, l'urgence écologique, comme un ultime sursaut lyrique à l'orée de la catastrophe

Un dernier stimuli pour notre instinct de survie.


Chez les deux auteurs, les lexiques de la technologie et de la nature cohabitent comme nous forçons l'écosystème à tolérer l'urbanisation, l'industrie, l'artificiel.

Des poèmes capturent comme en une respiration la beauté du monde préservé. Ce sont des pauses semblables aux illusions que l'homme nourrit en s'offrant des vacances. Le retour de la cadence infernale, toutefois, ne semble jamais très loin et laisse présager un règne d'ombres. Devant, le précipice et donc l'alternative : la chute, ou l'action


"Alors nous y voilà.

Le plus grand défi de tous les temps.

Qui pour mobiliser le courage ?

Qui pour réchauffer la peur bleue ?

Qui pour éventer les mensonges

et ranimer le souffle ?

Nous ne voulons plus de promesses, 

nous voulons la parole. " 

(A l'orée du danger, p. 92)


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