"On peut toujours recoller les morceaux" [Atelier d'écriture]



Il et elles ont quinze, seize ans.

Il, elles se sont inscrites à un atelier d'écriture que j'ai animé à la Cité Scolaire Gambetta-Carnot d'Arras les 4 et 7 avril, pendant la semaine culturelle organisée à l'attention des élèves sur le thème de la famille.

Ma posture était claire : je ne suis pas enseignante, je n'ai aucune technique bien ficelée à dicter. Je me suis présentée à eux comme une facilitatrice, celle qui leur donnerait, le temps de 5 heures, une possibilité et un espace d'écriture. 

J'ai préparé des jeux rapides pour briser la glace, puis j'ai annoncé le sujet, avec un peu d'imperfection. Je n'aime pas trop cadrer, j'aime laisser surgir un peu de spontanéité. Un atelier se construit aussi avec la dynamique du groupe, les émotions que chacun dépose. 

Portraits de famille(s), telle était la ligne d'écriture proposée, le cadre que j'ai souhaité laisser souple. Si je les faisais écrire, j'avais déjà tout gagné.

Il-elles sont venus avec des idées, il-elles n'ont aucun mal à noircir la page. Avec l’enseignante en anglais qui m'accompagnait, nous leur avons proposé une restitution orale. A mes yeux, c'est important de porter les mots à l'extérieur de soi, de les mettre en voix. Très vite cependant, cette question de la lecture en public les a effrayés, alors nous les avons accompagnés, sans obligation aucune, vers cette possibilité de lire.

J'avais envie de leur donner la main pour les aider à franchir cette marche tout à fait accessible, même si d'où il-elles se trouvent, elle semblait mesurer huit mètres de haut. 

L'atelier se met en route avec facilité.

Les personnalités se dévoilent et se devinent.

Les pistes se dessinent et je perçois très vite les parts d'intime. Avec elles, tout le courage de se mettre à nu. 

Au bout de la première session, j'ai le sentiment d'avoir réussi à créer un espace d'expression mais je me demande si je leur sers vraiment à quelque chose. Vais-je être à la hauteur de leurs attentes ? Deux heures trente et les voilà libérés, nous nous retrouverons trois jours plus tard. 

Et s'ils ne revenaient pas ? 

La deuxième session arrive et quand je pousse la porte du CDI, il-elles sont là, tous les cinq. Il-elles sont revenus. 

Le seul garçon a même cuisiné des cookies. Cuisiner pour le groupe, quel symbole ! On cuisine toujours d'abord pour sa famille, non ?

Certains ont retravaillé ou poursuivi leur écrit chez eux. Nous nous attablons, je propose des grilles de relecture, de réécriture. Les temps individuels permettent de pointer des axes de reformulation pour tirer tous leurs textes vers le haut, les amener à mettre en lumière un maximum de leur potentiel dans le peu de temps imparti. J'ai trouvé ma place, j'aime découvrir leurs récits et les guider, les soutenir, avec mon regard de lectrice et mon expérience d'écriture.

Les voilà ensuite face aux claviers, tapant frénétiquement leurs écrits, les imprimant.

Très vite arrive le temps de la restitution. Quatre élèves sur les cinq acceptent de lire à voix haute leurs productions. C'est une immense victoire ! 

Nous sommes assis les uns avec les autres, les lectures se suivent avec une continuité presque déconcertante. Quelque chose s'est tissé dans les interstices, une suite logique et thématique. Il et elles lisent et se répondent sans l'avoir prémédité.

Nous finissons en larmes. 

Du haut de leurs quinze ou seize ans, il et elles ont mis en mots des récits intimes, poignants, teintés de pointes d'humour parfois, d'indignation et de colère souvent. 

Écriture narrative rendant hommage,  récits de dénonciation et de réhabilitation, confidences lyriques, écriture thérapeutique, cet atelier a fait germer un peu de tout cela.

Je suis fière d'eux, fière de ce qu'il-elles ont projeté en dehors d'eux-mêmes.

J'avais exactement leur âge quand s'est produit en moi le déclic, l'attrait-feu vers la littérature et ses possibles. Je revois parfaitement cette lycéenne oscillant entre un manque criant de confiance en elle et des tentatives d'écriture par lesquelles elle espère se hisser, se démarquer des masses.

En foulant les couloirs de ce lycée, en prenant sous mon aile ces adolescents désireux d'entrer en écriture, c'est comme si j'avais foulé à nouveau le territoire de ma propre adolescence et que je soufflais à l'oreille de la jeune fille que j'étais : "tu peux, et tu as le droit de le faire."

Il-elles ont quinze ou seize ans. On aurait vite fait de les étiqueter : ados, nonchalants, les yeux rivés sur les écrans... Ils viennent en cours chaque jour et au plus profond de leur sac à dos, ils trimballent en silence des vécus qui, si on prend la peine des les écouter, forcent l'humilité et le respect. 

Il-elles ont parfois des petits bouts d'eux déchirés, décomposés, mais pour citer Rayan, "on peut toujours recoller les morceaux."

Merci à Mme Dumortier de m'avoir invitée à participer à cette semaine culturelle, merci au lycée Gambetta d'avoir validé le projet et merci aux élèves, surtout ! J'ai reçu autant que j'ai donné à vos côtés.



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